Pour un rôle accru de l’avocat au soutien du respect du devoir de vigilance dans les entreprises
L’avocat est, par essence, le défenseur des droits humains. Nous le sommes déjà pour nos clients et leurs droits dans les tribunaux. Mais notre mission s’étend au-delà des juridictions. Outre notre participation à la résolution des litiges à l’amiable, par la négociation ou la médiation par exemple, d’autres champs d’activités sont ouverts aux avocats pour la défense des droits humains, cette fois-ci en dehors des tribunaux, au sein des entreprises. Cela concerne les missions que celles-ci nous confient pour les aider à respecter leur devoir de vigilance.
Ce devoir s’est récemment étendu grâce à l’adoption d’une Directive européenne qui appelle une forte intervention des avocats pour que soit réussie l’effectivité de sa mise en œuvre.
La Directive européenne (UE) n° 2024/1760, du Parlement européen et du Conseil, du 13 juin 2024, sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, va considérablement élargir le champ d’application du devoir de vigilance par rapport aux législations nationales existantes, comme la loi française n° 2017-399, du 27 mars 2017, en abaissant les seuils et en incluant davantage d’entreprises. Elle a un effet extraterritorial, car elle vise aussi des entreprises non européennes, mais qui réalise un chiffre d’affaires de plus de 450 millions d’euros au sein de l’Union.
Elle va obliger de nombreuses sociétés à mettre en place pour la première fois des procédures de vigilance sur leurs chaînes d’activités. Le mécanisme de sanctions prévu, avec des amendes pouvant aller jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires mondial, incite fortement les entreprises à prendre au sérieux ces nouvelles obligations. Les sociétés concernées vont devoir rapidement adapter leur gouvernance et leurs processus internes pour se mettre en conformité dans un calendrier restreint – la transposition de la directive dans les droits nationaux étant fixée au plus tard le 26 juillet 2026.
Par capillarité et par ruissellement, ce devoir de vigilance va s’étendre, grâce aux techniques contractuelles, de droit dur et de droit souple, à toutes les petites et moyennes entreprises en amont ou en valeur de la chaine d’activités de celles directement visées. La jurisprudence s’est déjà exprimée sur ce point : par un arrêt du 20 novembre 2019, la Chambre commerciale de la Cour de cassation reconnait que la violation des obligations de compliance (dans cette affaire des dispositifs anti-cadeaux, de transparence et anticorruption) insérées dans un contrat commercial constitue une faute grave justifiant la rupture dudit contrat sans préavis : « compte tenu des règles fixées par le programme de "compliance" et de l’accord conclu, le manquement de l’[Agent commercial] à ses obligations contractuelles, en ce qu’il était susceptible d’engager la propre responsabilité de la [Société], était suffisamment grave pour justifier la rupture de la relation commerciale sans préavis » (Cass. com., 20 novembre 2019, n° 18-12.817, F-D N° Lexbase : A4677Z3M). Il en sera de même pour le devoir de vigilance : les entreprises fournisseuses ou sous-traitantes qui ne respecteront pas les clauses contractuelles relatives au devoir de vigilance seront en risque dans leurs relations contractuelles avec leurs partenaires commerciaux.
Ces obligations, si elles constituent un défi organisationnel et financier, sont aussi une opportunité pour renforcer la gestion des risques et la durabilité des modèles d'affaires. C'est ici que l'avocat intervient comme un véritable partenaire des entreprises et des parties prenantes pour le respect des droits humains, à la fois conseiller, formateur, auditeur, négociateur, médiateur ou défenseur stricto sensu.
Architecte du plan de vigilance
Le rôle de l'avocat commence avec la conception et la mise en place des processus de vigilance. Si la Directive n'évoque pas explicitement les termes de « plan de vigilance », elle impose aux entreprises des obligations claires de prévention et de détection des atteintes graves aux droits humains, à la santé, à la sécurité et à l'environnement. L'avocat est alors l'architecte de ces plans de vigilance, aidant les entreprises à comprendre les risques liés à leurs activités et à établir des procédures conformes et adaptées. Il conçoit également les processus d'alerte internes, essentiels pour une détection rapide des problèmes.
Formateur
Par des actions de formation, l'avocat joue un rôle pédagogique fondamental. Former les équipes aux enjeux du devoir de vigilance ne se limite pas à des présentations techniques : il s'agit d'insuffler une culture de responsabilité sociétale au sein de l'entreprise, de sensibiliser les salariés et les dirigeants aux risques et aux comportements à adopter. En développant cette culture, l'avocat participe activement à prévenir les violations et à ancrer le respect des droits humains dans le quotidien de l'entreprise.
Auditeur ou enquêteur interne
L’avocat peut être sollicité pour réaliser des audits internes, afin d’évaluer l’efficacité du plan de vigilance mis en place. Il identifie les éventuelles lacunes et propose des améliorations pour renforcer les dispositifs existants. Cette évaluation continue est essentielle pour s’assurer que le plan de vigilance reste adapté aux évolutions législatives et aux spécificités des activités de l’entreprise. Il peut aussi intervenir, de manière objective et impartiale, comme enquêteur interne en cas d’alerte ou de plainte interne.
Négociateur ou médiateur avec les parties prenantes
Les entreprises seront souvent confrontées à des préoccupations exprimées par les syndicats, les ONG, ou d'autres parties prenantes. Dans ces situations, l'avocat endosse un rôle de négociateur, cherchant à régler les conflits en dehors des tribunaux. S'il est nécessaire de recourir à une médiation, un autre avocat peut intervenir comme médiateur pour faciliter un dialogue constructif. Cette approche pragmatique est essentielle pour trouver des solutions qui respectent à la fois les exigences légales et les attentes des parties prenantes.
Défenseur en cas de contentieux
En cas de mise en cause de l’entreprise pour manquement à son devoir de vigilance, l’avocat de l’entreprise assure sa défense devant les juridictions compétentes. Il développe une stratégie adaptée pour contester les allégations ou, le cas échéant, négocier des solutions amiables. Sa connaissance approfondie du cadre légal et jurisprudentiel est un atout majeur pour protéger l’entreprise contre les risques juridiques et financiers.
Un rôle essentiel pour le respect des droits humains dans les entreprises
Ainsi, les multiples facettes du rôle de l'avocat dans le respect du devoir de vigilance sont autant de contributions à l'effectivité de cette obligation. En accompagnant les entreprises dans la mise en œuvre de leur devoir de vigilance, les avocats participent activement à renforcer leur responsabilité sociétale et à prévenir les risques juridiques, réputationnels et sociétaux de leurs clients. En tant qu’avocats, il nous appartient de nous approprier pleinement ces nouvelles responsabilités, et ainsi de confirmer notre rôle central dans la défense et la promotion des droits humains, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des prétoires.
Matthieu Boissavy
(article paru également dans Lexbase Avocats du 8 novembre 2024)
L’avocat est, par essence, le défenseur des droits humains. Nous le sommes déjà pour nos clients et leurs droits dans les tribunaux. Mais notre ...
Pour un rôle accru de l’avocat au soutien du respect du devoir de vigilance dans les entreprises
L’avocat est, par essence, le défenseur des droits humains. Nous le sommes déjà pour nos clients et leurs droits dans les tribunaux. Mais notre mission s’étend au-delà des juridictions. Outre notre participation à la résolution des litiges à l’amiable, par la négociation ou la médiation par exemple, d’autres champs d’activités sont ouverts aux avocats pour la défense des droits humains, cette fois-ci en dehors des tribunaux, au sein des entreprises. Cela concerne les missions que celles-ci nous confient pour les aider à respecter leur devoir de vigilance.
Ce devoir s’est récemment étendu grâce à l’adoption d’une Directive européenne qui appelle une forte intervention des avocats pour que soit réussie l’effectivité de sa mise en œuvre.
La Directive européenne (UE) n° 2024/1760, du Parlement européen et du Conseil, du 13 juin 2024, sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, va considérablement élargir le champ d’application du devoir de vigilance par rapport aux législations nationales existantes, comme la loi française n° 2017-399, du 27 mars 2017, en abaissant les seuils et en incluant davantage d’entreprises. Elle a un effet extraterritorial, car elle vise aussi des entreprises non européennes, mais qui réalise un chiffre d’affaires de plus de 450 millions d’euros au sein de l’Union.
Elle va obliger de nombreuses sociétés à mettre en place pour la première fois des procédures de vigilance sur leurs chaînes d’activités. Le mécanisme de sanctions prévu, avec des amendes pouvant aller jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires mondial, incite fortement les entreprises à prendre au sérieux ces nouvelles obligations. Les sociétés concernées vont devoir rapidement adapter leur gouvernance et leurs processus internes pour se mettre en conformité dans un calendrier restreint – la transposition de la directive dans les droits nationaux étant fixée au plus tard le 26 juillet 2026.
Par capillarité et par ruissellement, ce devoir de vigilance va s’étendre, grâce aux techniques contractuelles, de droit dur et de droit souple, à toutes les petites et moyennes entreprises en amont ou en valeur de la chaine d’activités de celles directement visées. La jurisprudence s’est déjà exprimée sur ce point : par un arrêt du 20 novembre 2019, la Chambre commerciale de la Cour de cassation reconnait que la violation des obligations de compliance (dans cette affaire des dispositifs anti-cadeaux, de transparence et anticorruption) insérées dans un contrat commercial constitue une faute grave justifiant la rupture dudit contrat sans préavis : « compte tenu des règles fixées par le programme de "compliance" et de l’accord conclu, le manquement de l’[Agent commercial] à ses obligations contractuelles, en ce qu’il était susceptible d’engager la propre responsabilité de la [Société], était suffisamment grave pour justifier la rupture de la relation commerciale sans préavis » (Cass. com., 20 novembre 2019, n° 18-12.817, F-D N° Lexbase : A4677Z3M). Il en sera de même pour le devoir de vigilance : les entreprises fournisseuses ou sous-traitantes qui ne respecteront pas les clauses contractuelles relatives au devoir de vigilance seront en risque dans leurs relations contractuelles avec leurs partenaires commerciaux.
Ces obligations, si elles constituent un défi organisationnel et financier, sont aussi une opportunité pour renforcer la gestion des risques et la durabilité des modèles d'affaires. C'est ici que l'avocat intervient comme un véritable partenaire des entreprises et des parties prenantes pour le respect des droits humains, à la fois conseiller, formateur, auditeur, négociateur, médiateur ou défenseur stricto sensu.
Architecte du plan de vigilance
Le rôle de l'avocat commence avec la conception et la mise en place des processus de vigilance. Si la Directive n'évoque pas explicitement les termes de « plan de vigilance », elle impose aux entreprises des obligations claires de prévention et de détection des atteintes graves aux droits humains, à la santé, à la sécurité et à l'environnement. L'avocat est alors l'architecte de ces plans de vigilance, aidant les entreprises à comprendre les risques liés à leurs activités et à établir des procédures conformes et adaptées. Il conçoit également les processus d'alerte internes, essentiels pour une détection rapide des problèmes.
Formateur
Par des actions de formation, l'avocat joue un rôle pédagogique fondamental. Former les équipes aux enjeux du devoir de vigilance ne se limite pas à des présentations techniques : il s'agit d'insuffler une culture de responsabilité sociétale au sein de l'entreprise, de sensibiliser les salariés et les dirigeants aux risques et aux comportements à adopter. En développant cette culture, l'avocat participe activement à prévenir les violations et à ancrer le respect des droits humains dans le quotidien de l'entreprise.
Auditeur ou enquêteur interne
L’avocat peut être sollicité pour réaliser des audits internes, afin d’évaluer l’efficacité du plan de vigilance mis en place. Il identifie les éventuelles lacunes et propose des améliorations pour renforcer les dispositifs existants. Cette évaluation continue est essentielle pour s’assurer que le plan de vigilance reste adapté aux évolutions législatives et aux spécificités des activités de l’entreprise. Il peut aussi intervenir, de manière objective et impartiale, comme enquêteur interne en cas d’alerte ou de plainte interne.
Négociateur ou médiateur avec les parties prenantes
Les entreprises seront souvent confrontées à des préoccupations exprimées par les syndicats, les ONG, ou d'autres parties prenantes. Dans ces situations, l'avocat endosse un rôle de négociateur, cherchant à régler les conflits en dehors des tribunaux. S'il est nécessaire de recourir à une médiation, un autre avocat peut intervenir comme médiateur pour faciliter un dialogue constructif. Cette approche pragmatique est essentielle pour trouver des solutions qui respectent à la fois les exigences légales et les attentes des parties prenantes.
Défenseur en cas de contentieux
En cas de mise en cause de l’entreprise pour manquement à son devoir de vigilance, l’avocat de l’entreprise assure sa défense devant les juridictions compétentes. Il développe une stratégie adaptée pour contester les allégations ou, le cas échéant, négocier des solutions amiables. Sa connaissance approfondie du cadre légal et jurisprudentiel est un atout majeur pour protéger l’entreprise contre les risques juridiques et financiers.
Un rôle essentiel pour le respect des droits humains dans les entreprises
Ainsi, les multiples facettes du rôle de l'avocat dans le respect du devoir de vigilance sont autant de contributions à l'effectivité de cette obligation. En accompagnant les entreprises dans la mise en œuvre de leur devoir de vigilance, les avocats participent activement à renforcer leur responsabilité sociétale et à prévenir les risques juridiques, réputationnels et sociétaux de leurs clients. En tant qu’avocats, il nous appartient de nous approprier pleinement ces nouvelles responsabilités, et ainsi de confirmer notre rôle central dans la défense et la promotion des droits humains, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des prétoires.
Matthieu Boissavy
(article paru également dans Lexbase Avocats du 8 novembre 2024)
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