L'avenir de la médiation en France
Texte paru dans Les États Généraux de la Recherche sur le Droit et la Justice – Éditions Lexis Nexis – Mars 2018
À l’heure de l’intelligence artificielle, de la justice prédictive par des algorithmes, du calcul de nos désirs et de nos pensées par le traitement informatisé de nos données, certains font le cauchemar d’une justice robotisée dans le futur. Ils n’auront pas tort si la machine et le logiciel suppriment les audiences et supplantent à terme le juge dans son délibéré et ses jugements.
Mais si ces nouvelles technologies, plutôt que d’écourter toute discussion et de nous évincer de la prise de décision, n’avaient pour effet principal que de nous libérer des contraintes temporelles et matérielles pour recueillir l’information nécessaire à une meilleure compréhension des conflits ? Ne seraient-elles pas alors des outils formidables pour recentrer la gestion des conflits sur la parole des parties dans un contentieux ? Ne seraient-elles pas l’un des moyens utiles pour renforcer les modes de résolution amiable des conflits et notamment la médiation ?
Face à la technologie froide de l’intelligence artificielle, nous pouvons nous réjouir que la médiation, ce processus souple et contractuel de résolution des conflits, permette aux personnes de résoudre leur différend, avec l’aide du médiateur, par la parole, l’écoute, la compréhension, l’expression des griefs par des méthodes respectueuses des personnes.
Faisons un rêve. Que le recours au juge, à celui qui tranche, dans le respect du droit mais parfois sans égard pour la complexité des relations humaines, ne soit que le dernier recours des parties après l’échec de toute tentative de résolution amiable. Les justiciables y aspirent car, mieux informés sur leurs droits, ils souhaitent mieux maîtriser la gestion de leurs litiges.
Cette aspiration est en phase avec les contraintes budgétaires de l’État qui le pousse à voir développer les modes amiables pour que le recours au juge n’intervienne qu’en cas d’impossibilité pour les parties à trouver un accord transactionnel. Toutefois, quel que soit le nombre de textes législatifs incitant au recours à la médiation et de vœux formulés pour la développer, l’avenir de la médiation en France ne sera fécond que si les efforts des pouvoirs publics pour les promouvoir se manifestent par des actions concrètes incitant les justiciables et les magistrats à y recourir.
Tous les modes amiables de résolution des conflits, dont la médiation, rencontrent du succès auprès de ceux qui les adoptent pour au moins deux raisons : d’une part, ils répondent à une aspiration sociale très forte de responsabilisation des individus (Section 1) ; d’autre part, ils sont en phase avec les besoins de l’État (Section 2). Il n’en demeure pas moins que la médiation ne pourra achever son rayonnement qu’au prix d’actions concrètes qui devront dépasser le stade de l’incantatoire (Section 3).
Le mode de résolution amiable des conflits le plus simple et le plus léger à mettre en place est la négociation directe entre les parties et leurs conseils. Force est de constater cependant que la négociation, pour les litiges complexes, n’est pas le mode de résolution le plus efficace.
La médiation, par l’intervention de ce tiers qu’est le médiateur, neutre et impartial, certes dépourvu de pouvoirs juridictionnels mais investi d’une autorité reposant sur la confiance des parties, est le mode de résolution amiable le plus efficace pour celles et ceux qui souhaitent résoudre de manière amiable un conflit complexe en gardant le contrôle du processus de prise de décision résolutoire.
Le justiciable voit dans la médiation un mode de résolution des conflits qui le sort d’une forme d’incapacité dans laquelle le processus juridictionnel le place en le dépossédant de la responsabilité de la décision qui sera prise par le juge ou l’arbitre pour trancher le litige.
La médiation est une forme mature de résolution des conflits qui répond parfaitement à l’aspiration de responsabilisation des individus ainsi qu’à une forme de renforcement des modes de prises de décision par consensus.
Nous avons vu dans les précédents exposés que le processus de production des normes, y compris au plus haut niveau de l’État, était influencé par la prise en compte des besoins et des revendications de ceux qui vont être concernés par l’application de ces normes. Cette influence se traduit au moins par l’écoute et la concertation et au plus par l’accord préalable. L’État écoute la société civile, et pas seulement ses experts, pour faire en sorte que la production des normes soient la plus consensuelle possible[1].
L’autorité est d’autant plus respectée et perçue comme légitime que l’adhésion à ses décisions a été discutée et consentie. L’évolution des rapports de travail tend aussi à une substitution de l’organisation pyramidale par une organisation horizontale, en réseau.
L’autorité, même du juge, n’est acceptée que si elle est consentie, reconnue légitime par un discours raisonnable, convaincant par la raison, et non pas imposé sans explication.
Cette démocratisation dans le processus de production des normes et des prises de décision se retrouve, pour la résolution des conflits, dans le développement des modes amiables de résolution et notamment de la médiation.
Le justiciable préfère de plus en plus une justice négociée à une justice déléguée[2].
De mieux en mieux informé sur ses droits, notamment par le développement de l’information juridique par l’Internet, le justiciable veut maîtriser la gestion de ses litiges et ne pas délaisser totalement leur gestion à des tiers, avocats ou juges. La contractualisation de la justice lui permet de reprendre ce contrôle. Sans être naïf sur le sens de la formule d’Alfred Fouillée « Qui dit contractuel, dit juste », on peut légitimement penser que la justice négociée est le moyen le plus adapté pour résoudre la plupart des litiges aujourd’hui[3].
Le justiciable adhère d’autant mieux à la médiation que le processus est géré par des médiateurs bien formés qui ne se contentent pas de pousser au compromis et de ne présenter que la solution de la poire coupée en deux, mais qui vont à la recherche des besoins exprimés ou sous-jacents des parties afin qu’une solution de résolution amiable créatrice puisse se dégager du processus.
Or cette aspiration légitime des justiciables est en adéquation avec la nécessité pour l’État de réorganiser le service public de la justice en raison de ses contraintes financières.
La médiation, un mode de résolution amiable en phase avec les besoins de l’État contemporain
La justice traditionnelle est en faillite. L’État ne veut plus la financer.
La France compte dix juges professionnels pour 100 000 habitants, soit deux fois moins que la moyenne des États membres de l’Union européenne. Nous disposons d’environ 7 000 magistrats professionnels, cela correspond à peu près au même nombre de magistrats en 2017 qu’au xixe siècle.
Un Français attend en moyenne 304 jours pour voir son cas jugé en première instance contre 19 jours au Danemark, 91 aux Pays-Bas et 133 en Suède.
Avec seulement près de 2 % du budget de l’État, dont la moitié est affectée à l’administration pénitentiaire, la Justice ne peut pas assumer ses fonctions essentielles de manière correcte et raisonnable.
Selon un rapport du Parlement européen de 2011 (Direction générale des politiques internes, Quantifying the cost of not using mediation)[4], « la médiation est rentable à partir d’un taux de réussite de 19 % car elle permet de réduire de manière importante les frais de justice pour les citoyens, les entreprises mais aussi pour les États en réduisant les coûts supportés par ces derniers au titre du fonctionnement de la justice. Cette étude a constaté que le coût moyen d’une action en justice dans l’Union européenne était de 10 449 euros tandis que le coût moyen d’une médiation était de 2 497 euros ».
L’État a donc tout intérêt à voir se développer les MARC et notamment la médiation afin que les conflits soient résolus de plus en plus par d’autres moyens que le recours au juge.
La médiation est devenue l’un des outils les plus importants pour répondre aux besoins de justice des Français que le juge ne peut plus leur donner dans un temps raisonnable.
Dès lors, de quoi manque-t-on en France pour voir se développer de manière concrète la médiation ?
Nous ne manquons pas de normes sur le sujet. Les pouvoirs publics, nationaux et européens, ont depuis longtemps manifesté leur intérêt pour le développement de la médiation par l’adoption de législation de plus en plus spécifique à tous les secteurs d’activités concernés.
Après la mise en place de la médiation judiciaire généraliste dans les années 1990, nous avons vécu la mise en place de processus de médiation de plus en spécialisés, la médiation en matière familiale, puis de consommation ou encore administrative.
La directive européenne sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale a été transposée dans notre Code de procédure civile par l’adoption de règles pour les modes amiables de règlement des différends[5].
La loi de modernisation de la justice du xxie siècle, promulguée le 18 novembre 2016, prévoit de favoriser les modes alternatifs de règlement des différends. Tous ces processus législatifs sont à notre disposition pour faire avancer la médiation.
Nous ne manquons pas de formations pour les médiateurs non plus.
Des actions sont menées depuis plus de vingt-cinq ans par des associations de médiateurs pour voir développer les formations de médiateurs. Ainsi l’IFOMENE et le barreau de Paris avec l’Association des médiateurs européens, ou encore l’École internationale des modes alternatifs de règlement des litiges (EIMA)[6] ont développé autant des actions de formation des médiateurs que des actions de promotion de développement de réseaux de médiateurs.
La médiation est donc maintenant bien installée dans le paysage des modes de résolution des conflits.
Si bien installée que Mme Chantal Arens, première présidente de la Cour d’appel de Paris, qui est la juridiction à la pointe du développement des modes alternatifs de résolution des conflits (MARC), en étroite coopération avec le barreau de Paris, a pu souhaiter que la médiation soit le mode principal de résolution des conflits et le recours au juge le mode alternatif.
Il manque peut-être quelques incitations concrètes pour la voir se développer encore plus.
Car trop souvent le recours à la médiation ne repose que sur la bonne volonté des magistrats et des avocats qui y ont été sensibilisés ou formés. Pour que le recours à la médiation ne dépende pas toujours de ceux qui en sont déjà des adeptes, il faut qu’il soit institutionnalisé et récompensé.
Bien sûr, la voie radicale serait d’imposer la médiation avant tout procès. Idée révolutionnaire ! Comme le rappellent les professeurs Loïc Cadiet et Thomas Clay dans leur ouvrage Les modes alternatifs de règlement des conflits, le député Louis Prugnon exhortait déjà les premiers députés à adopter cette mesure lors d’un discours à la tribune de l’Assemblée nationale le 7 juillet 1790 : « Rendre la justice n’est que la seconde dette de la société. Empêcher les procès, c’est la première. Il faut que la société dise aux parties : pour arriver au temple de la justice passez par celui de la concorde. J’espère qu’en passant vous transigerez »[7].
Le décret du 11 mars 2015 était un premier pas dans ce sens. En obligeant les parties et leurs avocats à envisager une solution amiable avant la saisine du juge, le décret tente d’imposer une tentative de résolution amiable avant l’introduction de l’instance. Mais le non-respect de cette prescription n’est pas sanctionné par une irrecevabilité à ce jour[8].
La loi de modernisation de la justice du xxie siècle prévoit une telle disposition en recourant à la conciliation gratuite préalable systématique pour les litiges de moins de 4 000 €. L’étape obligatoire de médiation est expérimentée dans d’autres types de litige, comme les conflits familiaux ou administratifs.
Toutefois, à en juger par le peu de succès des audiences de conciliation en matière prud’homale, je pense qu’il faut être prudent sur l’instauration de tels recours obligatoires si les parties n’ont pas la liberté de choisir leur médiateur ni d’adapter le processus de médiation à leur conflit.
D’autres mesures concrètes peuvent être tout aussi efficaces. Par exemple, peut-on encore comprendre que lorsqu’un magistrat voit sortir du rôle de la chambre dont il a la responsabilité une affaire pour cause de transaction issue d’une médiation qu’il a favorisée, cette mise hors du rôle lui soit comptée comme un désistement qui ne vaut pas autant qu’un jugement dans les résultats qu’attend de lui sa hiérarchie ?
Qui ne voit que cette seule mesure pratique est un frein à l’incitation de recourir à la médiation pour les magistrats ?
Une autre incitation pourrait être de donner la possibilité aux avocats qui ont conseillé les parties dans un processus de médiation et qui les ont aidées à rédiger, sous l’égide d’un médiateur, un protocole transactionnel, la possibilité d’apposer sur leur acte d’avocat la formule exécutoire, comme un notaire peut le faire.
Enfin, une autre incitation pourrait être d’instituer un recours obligatoire à la médiation dans certains domaines, comme cela est expérimenté en matière familiale dans certains tribunaux, ou de faire en sorte que si la médiation est refusée d’emblée par les parties, la partie perdante du procès en supportera le coût réel, notamment par l’octroi d’un montant d’indemnité au titre de l’article 700 du Code de procédure civile qui correspond à la charge financière réelle d’un procès par le justiciable.
Finalement, pour peu qu’une politique publique nationale effective se mette en place pour promouvoir, canaliser, organiser les multiples initiatives publiques et privées en faveur de la médiation, nous sommes très confiants dans le développement de la médiation en France.
En tout état de cause, les avocats s’investissent beaucoup pour développer cette activité, en tant que conseils des parties qu’en tant que médiateurs. Le lancement du Centre national de médiation des avocats par le Conseil national des barreaux, de même que les initiatives du barreau de Paris, démontrent une action très forte des avocats pour la promotion des MARC et notamment de la médiation.
En conclusion, pour l’avenir de la médiation, répondons aux promesses de son passé :
Déjà, sous l’Ancien Régime, face aux multiples échecs de l’institution judiciaire, sa lenteur, son coût, son aléa, des initiatives privées étaient mises en place pour promouvoir les MARC. Par exemple, la Compagnie du Saint-Sacrement avait institué des « arbitres charitables » chargés d’une mission de « conciliateurs » pour assister les plaideurs. Un livre savoureux raconte les missions de ces tiers tout autant arbitres que véritables médiateurs au sens où nous l’entendons aujourd’hui : L’arbitre charitable pour éviter les procès et les querelles, ou du moins pour les terminer promptement par M. Alexandre de La Roche, prieur de Saint-Pierre (1668).
Jean de La Fontaine en parlait dans sa dernière fable, Le Juge arbitre, l’Hospitalier et le Solitaire :
« Depuis qu’il est des Lois, l’Homme, pour ses péchés,
Se condamne à plaider la moitié de sa vie.
La moitié ? Les trois quarts, et bien souvent le tout.
Le Conciliateur crut qu’il viendrait à bout
De guérir cette folle et détestable envie ».
Le conciliateur, ou le médiateur, le crut. Il fut longtemps déçu de ne pas être en mesure d’y parvenir, faute d’incitations concrètes pour les parties de recourir à lui. Mais qu’il garde espoir, car tout semble indiquer qu’à l’avenir son travail sera reconnu et récompensé par le recours de plus en plus courant à la médiation avant tout procès.
[1] D. Schnapper, La démocratie providentielle, essai sur l’égalité contemporaine, Gallimard, 2002.
[2] CEPEJ, Contractualisation et processus judiciaires en Europe, étude n° 16, éd. du Conseil de l’Europe, 2009.
[3] J.-F. Spitz, Qui dit contractuel, dit juste, quelques remarques sur une formule d’Alfred Fouillée : RTD civ. 2007, p. 281. – L. Rolland, Qui dit contractuel, dit juste. (Fouillée)… en trois petits bonds, à reculons : McGill L.J. 2006, 51, 765.
[4] Rapport de la Direction générale des politiques internes, note PE 453.180, cité dans un article de F. Vert et H. Deghani-Azar, Médiation : comment trouver les 50 milliards ! : Gaz. Pal. 30 avr. 2014, p. 11.
[5] PE et Cons. UE, dir. n° 2008/52/CE, 21 mai 2008 : JOUE n° L 136 ; CPC, Titre VI.
[6] V. : http://www.avocatparis.org/ecole-internationale-des-modes-alternatifs-de-reglement-des-litiges-eima.
[7] L. Cadiet et Th. Clay, Les modes alternatifs de règlement des conflits, Dalloz, 2e éd., 2017, p. 34.
[8] D. n° 2015-282, 11 mars 2015.
Exposez-nous votre problème et nous vous dirons si nous pouvons vous êtes utile.