Justice
6/6/19

Faut qu'on parle

Article paru le 6 juin 2019 dans LEXBASE AVOCATS

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« Vivo per lei »… vous connaissez cette chanson d’Andrea Bocelli, « Je vis pour elle » ?

Magistrats, avocats, greffiers, personnels de justice, nous vivons, chacun de nous, pour elle.

Malheureusement pas pour la musique, comme Andrea Bocelli…Pour nous, elle, c’est la justice.

Dans le chaudron de chaque procès tous nos efforts, tous nos dévouements tendent à ce que le meilleur service de justice soit rendu aux justiciables qui font appel à nous.

Puisque nous avons tous le même engagement, la même passion, il pourrait sembler naturel que nos discussions, nos débats et nos rencontres soient toujours empreints de respect et de courtoisie.

Or c’est de moins en moins le cas. A Paris, depuis le déménagement du nouveau tribunal dont l’architecture intérieure a fait le choix d’exclure les avocats d’une communication spontanée avec les magistrats et les greffiers, les heurts entre gens de justice ne cessent d’augmenter.

Quelles en sont les causes ?

La raison principale selon nous vient du choix des gouvernements successifs de restreindre les moyens de la justice par rapport à ses besoins réels. Restriction de ses ressources humaines en greffiers et en magistrats : souvenons-nous que le nombre de magistrats judicaires aujourd’hui est sensiblement le même qu’au 19ème siècle, alors que la population française a quadruplé… Restriction de ses moyens financiers et matériels : lequel d’entre nous ne peut pas se plaindre de l’indigence des moyens donnés à la justice qui se répercute sur la qualité des mises en état des affaires ou encore les délais de jugement mais aussi sur la qualité de nos relations professionnelles ?

Depuis trop longtemps notre dévouement, de tous, a tenté de colmater les brèches, les fuites, les retards, pour masquer la faillite de la justice française[1]. Nous avons tous pris sur nous. Nous avons tous supportés et nous supportons encore la défaillance de l’Etat, dans chacune de nos juridictions, dans chacun de nos cabinets.

Et puis, il arrive un moment où les bonnes volontés ne suffisent plus. Nous sommes arrivés au point où cet état d’esprit du pouvoir exécutif qui ne respecte pas le judiciaire finit par pousser les gens de justice eux-mêmes à ne plus pouvoir respecter leurs fonctions, à ne plus respecter la justice, à ne plus se respecter.

Ce qui est arrivé au tribunal de Paris le 16 mai 2019 est symptomatique de l’état de paroxysme dans lequel les gens de justice, à cran, se trouvent aujourd’hui. Une juge, excédée par l’incident soulevé par une avocate qui téléphone au bâtonnier pour résoudre l’incident, refuse d’attendre l’intervention du bâtonnier ou de son délégué et appelle les forces de police pour évacuer de force l’avocate de la salle d’audience. Comment a-t-on pu en arriver là ?

Fort heureusement, dans un communiqué de presse commun, Marie-Aimée Peyron, bâtonnier de Paris, et Jean-Michel Hayat, président du tribunal de Paris, ont tenu à rappeler qu’« en aucun cas, il ne peut être recouru au concours des forces de l’ordre, à l’égard d’un avocat, dans l’exercice de sa mission ».

Tous les jours, la pression sur les gens de justice, causée par la défaillance de l’Etat à donner à la justice les moyens de rendre un service judiciaire digne de ce nom, cause, non seulement de la souffrance au travail[2] mais aussi des incidents entre avocats, magistrats, greffiers ou personnels de justice.

Pour ce type d’incidents, nous devons nous parler et tenter, pour ce qui dépend de nous, de les résoudre.

Bien entendu, il y a des cas particuliers d’incidents qui n’ont rien à voir avec les problèmes objectifs qui pèsent sur l’organisation judiciaire mais tout à voir avec des relations personnelles entre gens de justice. Dans cet autre type d’incidents, il en est de deux sortes.

L’un est en lien des personnalités structurellement « difficiles », des gens de justice qui sont prompts à tenir des propos agressifs ou irrespectueux envers les autres. Ces comportements ne respectent pas nos déontologies. Ils doivent être sanctionnés.

L’autre est calculé, il est dans la recherche de l’incident pour l’incident.

Le plus grave dans ce dernier type d’incident c’est l’atteinte à la foi du Palais. C’est quoi la foi du Palais ? Ce sont les discussions informelles et confidentielles entre gens de justice. Ces discussions sont essentielles. Là encore, en cas de manquement à nos déontologies, nos instances professionnelles doivent intervenir pour préserver la confiance entre gens de justice, dans l’intérêt des justiciables.

Le bâtonnier de Paris et le président du tribunal de Paris ont annoncé des assises entre avocats, magistrats et personnels de justice pour parler de nos relations professionnelles et trouver des solutions d’apaisement.

Bref, faut qu’on parle. Pour se respecter. Pour se faire respecter. Pour que la justice soit respectée.

Viviamo per lei.

[1] Olivia Dufour : Justice, une faillite française ? LGDJ, 2018

[2] Lire sur leurs sites internet le rapport du 4 juin 2019 du Syndicat de la Magistrature sur la charge de travail dans la magistrature et le rapport de novembre 2018 de l’USM sur la souffrance au travail des magistrats. Voir également l’excellent documentaire de Danièle Alet « Sois juge…et tais-toi ? »

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